JPBorel s'orienter dans le mauvais temps à ski (version Web complète)
A skis dans le mauvais temps
Situons le problème :
S’orienter dans le mauvais temps à ski pose des problèmes innombrables. La nécessité absolue de ne pas se perdre va vous obliger à mettre en œuvre de solides compétences en matière d’orientation.
Pour commencer dans la joie et l’optimisme, nous allons lister de manière non limitative les désagréments qui vous attendent…
- La visibilité est restreinte, parfois nulle quand on est enfermé dans une bulle de coton glacial.
- Tous les repères sont estompés, le vent, en créant un tapis roulant de neige déséquilibre le skieur qui devient incapable d’estimer sa vitesse. La trace s’efface rapidement, coupant tout espoir de retour.
- Il faudra parfois organiser de véritables convois à la descente, le groupe évoluant à la file, à faible vitesse, les bâtons servant d’antenne pour estimer la vitesse.
- La température et le vent rendent tout arrêt impossible sans un matériel de bivouac de haute qualité, alors même que l’arrivée précoce de la nuit aggravera tout en limitant encore la visibilité.
- La moindre avarie matérielle, par exemple une fixation cassée, obligera à une réparation de fortune dans les pires conditions.
- La neige en tombant dans la montagne ventée, rendra le relief encore plus complexe et difficile à interpréter en créant des congères dont la corniche pourra être interprétée comme le bord d’une falaise, ou d’une crevasse.
- Le danger d’avalanche et de plaques à vent augmentera rapidement, y compris dans des pentes de faible inclinaison.
- La carte et les instruments d’aide à l’orientation sont difficiles à manier avec des gants, la frontale mettra un malin plaisir à tomber en panne au meilleur moment, ne parlons du trop faible nombre de way points, rentrés négligemment dans le GPS.
- Le simple fait de sortir la carte de sa pochette de protection pour en changer le pliage est une épreuve.
- Boire et manger devient problématique, la fatigue, couplée à l’énervement lié au vent rendra toute prise de décision difficile.
- La cohésion du groupe se heurtera à des avis contraires, faire demi-tour, accélérer, organiser un bivouac, profiter ou non d’une bergerie abandonnée, risquer de s’engager dans une pente, descendre dans une vallée ou dans une autre s’avèrent autant de choix difficiles.
Les outils pour s’orienter :
les instruments nécessaires et les astuces pour optimiser leur utilisation :
|
En absence de repères, carte boussole et altimètre sont les outils incontournables du skieur aventurier. D’utilisation relativement simple, ils ne tombent jamais en panne et ne nécessitent pas de préparation préalable.
Le GPS reste encore rare et complexe en attendant un futur plus ou moins lointain et hypothétique ou la carte IGN sera intégrée. Il nécessite une préparation préalable à la sortie, domaine dans lequel les humains sont parfois négligents. Les piles ont par ailleurs la fâcheuse habitude de faiblir au mauvais moment, et changer les piles avec des moufles relève de l’exploit (entraînez vous à la maison pour voir).
N’oublions pas les systèmes de repérage en cas d’ensevelissement sous avalanche, ceux-ci vous éviteront peut-être de vous perdre définitivement. Le téléphone portable ou la radio ne sont pas inutiles sur un plan sécuritaire, le concept d’engagement et d’aventure en prend un coup, mais l’important n’est-il pas d’être dans la nature ?
La carte pose un vrai problème en tant que pièce maîtresse de votre capacité à vous situer. Sa fragilité au vent et à l’humidité rend indispensable une plastification ou une protection sous pochette transparente. Des produits à passer au pinceau sur le papier existent dans le commerce, il est aussi possible de préparer un collodion artisanal à base de trichloréthylène et de polystyrène qui pose des problèmes de toxicité lors de l’application (milieu très aéré indispensable lors de l’application)
Cette protection sous pochette nécessite un système d’attache (tour de cou ou autre), il en est de même pour l’altimètre et la boussole.
La montre altimètre sera difficile d’accès sous les manchons des moufles, la boussole gagnera à être attachée sur la pochette de carte tout en étant sécurisée par une ficelle. Les dragonnes des bâtons sont plus gênantes qu’utiles.
Un carnet topo avec feuilles plastifiées et crayon à mine grasse vous permettra de noter quelques informations sur l’itinéraire, les distances et les routes suivies.
Etant donné la précision qui est nécessaire à une progression en sécurité, une échelle au 1/25000 ème est indispensable, ce qui rend le choix de la carte très simple en France
Se situer
Tout est question de mesure, altitude, cap, distance, lecture de carte, méthode et géométrie seront les six mamelles de l’orienteur à ski. La montagne regorge de points et de lignes géométriquement remarquables. Col, sommet, arête, lac, combe, torrent, falaise, lisière, changement de pente et orientation du versant en sont quelques exemples :
Il est indispensable d’utiliser ces repères pour se situer très précisément dès que la visibilité devient faible. Ne pas omettre d’étalonner l’altimètre puis de préparer le groupe sur le plan vestimentaire, psychologique avant que tout ne devienne plus difficile. La décision du demi-tour éventuel doit être prise tôt.
Le rythme de marche ou la vitesse de descente doit être diminuée, il faudra peut-être durer longtemps.
Connaître en permanence sa position est une nécessité vitale, chaque centimètre sur la carte doit être confirmé par un indice du terrain, cette règle ne soufre pas d’exception, il suffit de quelques centaines de mètres d’erreur pour se tromper de vallée ou s’engager dans une pente dangereuse.
Du terrain à la carte:
La visibilité n’étant pas toujours aussi catastrophique que vous le raconterez au retour de votre aventure, il sera souvent possible de profiter d’une éclaircie pour relever l’azimut d’un point caractéristique (et identifié).
Un simple report de cet angle sur la carte grâce à votre boussole rapporteur vous situera sur une droite, espace à une dimension infiniment moins improbable que le plan à deux dimension de la carte IGN.
Se situer par relèvement :
Se situer sur une ligne par visée sur un sommet dans une éclaircie :
ou la boussole comme compas de relèvement (c’est le grand-père breton qui va être content) :
Procédure : viser, puis caler l’aiguille aimantée dans les repères du cadran, il ne reste plus qu’à lire l’azimut.
Faire le point avec deux visées :
Une deuxième éclaircie et miracle géométrique, l’intersection de deux droites vous permettra de faire une mise au point..
Faire le point avec l’altimètre :
L’altimètre est un outil précieux pour se situer sur une courbe de niveau, cette information dont la précision dépend de la qualité du réglage de l’outil vous permettra de vous situer précisément par confrontation avec une autre ligne, azimut, ligne d’inflexion du terrain, crête, combe, etc.
La précision d’un altimètre peut être gravement altérée lors du passage d’un front (perturbation météo), et cela en quelques dizaines de minutes. Il est important de caler celui-ci à chaque passage sur un point dont l’altitude est certaine comme un sommet, un col, un lac, et au moment du départ du refuge.
Dans l’exemple ci-dessous, l'altimètre indique 2500m avec + ou - 10m d'erreur et permet de nous situer approximativement dans la zone verte.
La position estimée sera B, si nous sommes dans une combe, A si nous sommes sur une crête.
Toutes les combinaisons deviennent alors possibles avec un peu d’imagination:
- Une altitude plus une combe ou une arête comme ci-dessus.
- Une visée et combe ou arête.
- Une altitude et une visée etc.
L’altitude comme ligne d’arrêt :
Il est souvent efficace de se fixer une ligne d’arrêt sur une altitude, par exemple pour trouver le refuge à 2500m d’altitude. Le problème sera de savoir de quel coté partir (à droite ou à gauche) horizontalement quand on atteint celle-ci.
Pour cela une stratégie : viser à coté volontairement.
La tangente à la courbe de niveau :
Cette technique permet souvent de faire le point en ne connaissant que l’altitude, elle demande une bonne perception des lignes de pente et de l’horizontalité des skis.
La notion de ligne d’arrêt sur l’azimut d’une courbe de niveau.
Lever le doute :
Micro relief et macro relief : un vrai problème :
Toutes les techniques utilisant la forme du relief se heurtent à un écueil majeur : sur la carte les courbes de niveau décrivent des arcs de cercle harmonieux, elle ne représentent pas toujours les micro reliefs d’une dimension inférieure à 100m qui sont parfois de simples congères ou accumulations de neige inexistantes sur le terrain en été. Le doute est permanent, les hypothèses fusent dans les esprits et complexifient l’orientation. Quelle angoisse de voir ses spatules perdre le contact avec la neige alors que l’on s’approche à l’estime d’une ligne de crête cornichée.
De la carte au terrain :
Mesurer un azimut sur la carte :
La route à suivre peut être mesurée sur la carte avec la boussole utilisée en rapporteur et représentée ci-dessous volontairement sans aiguille.
La boussole
qui sert à tenir le cap :
Azimut, route, cap, trois mots pour exprimer ce fil rectiligne, ténu, virtuel mais si précieux qui vous permettra de faire avancer votre pouce repère sur la carte. Passer de manière certaine du « je suis ici » au « je suis la » pour formuler un « en me dirigeant par-là j’arriverais certainement quelque part »
La boussole permet de suivre un azimut en référence au Nord magnétique. Il suffit de faire coïncider le Nord indiqué par l’aiguille aimantée, et la couronne graduée de la boussole. Celle-ci n’étant rien d’autre qu’un rapporteur réglable sur la route désirée. Il ne reste ensuite plus qu’à suivre la direction indiquée.
Passer de la carte au terrain et inversement posera le problème de la confrontation des « Nords », par chance, nord magnétique et nord géographique sont presque confondus en ce moment dans les alpes, mais savez vous quel nord utilise votre GPS, et en quoi il est différent du nord du carroyage Lambert ?
Tenir un azimut par beau temps est facile, il suffit de viser précisément un point distant se trouvant sur la route, de ranger la boussole dans sa poche pour ne la ressortir que quand le point est atteint, puis de recommencer.
Par brouillard, quand l’extrémité des skis est floue, c’est une autre histoire, il vaut alors mieux être trois au minimum :
Tenir un azimut à plusieurs :
Tenir un azimut en montée :
Un peu de géométrie pour éviter un obstacle si la ligne droite n’est pas possible :
Eviter un obstacle de petite dimension :
Éviter avec précision un obstacle de grande dimension nécessite un peu de calcul mental. Ne pas oublier de mesurer précisément les distances.
L’estime : quand l’aventure commence !
Globalement toute progression de type azimut distance est entachée d’erreur et la position doit être confirmée le plus souvent possible par un point caractéristique du terrain. Si cette confirmation n’est pas évidente, une ligne d’arrêt, buttoir permettra de ne pas aller trop loin. Par exemple, si en suivant l’azimut 80°, je ne rencontre pas de thalweg au bout de 500m, le demi-tour sera nécessaire. Il faut parfois partir en éclaireur dans une direction sur quelques centaines de mètres pour lever un doute et confirmer une position.
Estimer la distance parcourue :
L’estimation de la distance parcourue nécessite d’étalonner son pas. Il faut retenir comme règle générale :
- 40 cm par pas en montée (300 doubles pas pour un cm sur la carte 1/25000)
- 50cm par pas sur le plat (250 doubles pas pour un cm sur la carte 1/25000)
- 60 cm par pas en légère descente (200 doubles pas pour un cm sur la carte 1/25000)
Une astuce est de placer un bout de ruban adhésif à 50cm des spatules, cela vous aidera à prendre la mesure.
Le porteur de carte peut déléguer ce rôle à un ou plusieurs autres membres du groupe.
Mesurer avec la corde :
Dernières recommandations :
- Le manque de visibilité rend l’encordement prudent sur glacier et en terrain de haute montagne. Une corniche peut casser dix mètres derrière la ligne de crête, la visibilité est souvent inférieure dans le grand blanc.
- un lac recouvert d’une couche de glace fine est un danger important, pas de problèmes en février à 3000m d’altitude dans les alpes du nord, mais qu’en sera-t-il dans le Mercantour ?
- Les torrents creusent sous le manteau neigeux leur cavité mortelle et invisible, il s’agit d’un danger redoutable.
- Qui dit altitude, neige et mauvais temps dit avalanche. L’inclinaison de la pente, l’exposition sous des pentes raides situées en amont vont rendre le choix de l’itinéraire délicat, rapidement impossible. Le choix de la trace est en grande partie conditionnée par ce danger. Certaines vallées, sur creusées par un torrent, rendent l’issue vers le bas impossible à moins de couper des pentes raides. Certains cols deviennent infranchissables.